Pour un Liban neutralisé et pérenne

Au bout de ces cent ans (1920-2020), le sort du Liban, de l’État libanais, est toujours en question ! Pourquoi ?

1– Le Grand Liban proclamé par la France en 1920 représente, selon Jean Gottmann, dans son livre de référence La politique des États et leur géographie, un État-tampon entre Israël et la Syrie.

2– Un État-tampon est par définition un État vulnérable d’après le rapport de son étendue sur ses frontières (le Liban : 10 452/679=15,3 ; pour la France : 552 000/6 319=87,3). Cette proportion libanaise très basse, et parmi les plus basses du monde, « rend la défense nationale quasi désespérée », selon Gottmann.

3– Cette situation géostratégique est plus grave, plus dangereuse et plus fondamentale lorsque les deux voisins du Liban ont des idéologies expansionnistes, et par conséquent, une vision méfiante vis-à-vis de l’État libanais. Ainsi, les responsables israéliens et syriens ont toujours déclaré que la création du Liban « était une faute géographique et historique ». M. Michel Foucher insiste plusieurs fois sur cette négation : la non-reconnaissance du Liban par ses voisins.

4– La diplomate française prévoyante et très distinguée Élisabeth Picard explique cette double négation israélo-syrienne par une double négation idéologique : « La création du Grand Liban est une négation du fait de deux idéologies : celle du Grand Israël et celle de la Grande Syrie. »

5– Ainsi se précise la vraie nature de la question libanaise : c’est une question existentielle qui fait que le Liban est toujours exposé, terrifié et obligé à « vivre au bord du danger permanent », selon l’expression de Michel Chiha.

6- Petit pays en étendue et en démographie, société cosmopolite formée de communautés associées, avec dix-huit factions religieuses, ethnologiques et linguistiques, le Liban est facilement perturbé par les ingérences des pays étrangers voisins et lointains pour des considérations stratégiques.

7– André Malraux disait que « le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas », et d’après les estimations démographiques, l’islam sera la première religion du monde. Et puisque « c’est la démographie qui fait l’histoire », Sa Sainteté le pape François et le cheikh d’al-Azhar Ahmad Tayeb ont déclaré le manifeste de la fraternité humaine pour prévenir toute confrontation entre les deux religions.

8– Face aux États-tampons, vulnérables et sources de perturbations et de conflits internes, régionaux et internationaux, les instances internationales ont proposé deux solutions : « La neutralité ou la neutralisation ».

La neutralité (à la façon suisse) s’accomplit à la demande de la population de l’État.

La neutralisation (à la façon autrichienne) est celle qu’on impose à l’État pour prévenir des menaces à la paix régionale et mondiale.

9– Même si une forte proportion de la société libanaise est pour la neutralité du Liban comme solution adéquate et valable, une autre partie, par contre, n’adopte pas ce choix pour des raisons idéologiques et religieuses. Cette opposition déplace le Liban du choix de la neutralité à celui de la neutralisation.

10– C’est aux instances internationales (Conseil de sécurité et Nations unies) et régionales (Ligue des États arabes) que se joue le vrai sort de la nation libanaise. Les pays influents et amis, en premier lieu la France, ont une mission historique à accomplir, raffermir, consolider et stabiliser le choix de 1920 : le Liban définitif par la neutralisation.

11– Si, pour l’Autriche, la neutralisation a été imposée pour des raisons sécuritaires (éviter le choc entre le Pacte de Varsovie et celui de l’Atlantique), le Liban représente trois grands atouts pour l’humanité.

a) Préserver la paix régionale et mondiale en évitant que le Liban reste la poudrière du Moyen-Orient : conflits arabo-israélien et arabo-iranien, sunnite-chiite et islamo-chrétien.

b) Le Liban est parmi les fondateurs de la civilisation humaine depuis l’alphabet phénicien de Byblos, reconnu comme base de toutes les civilisations (sauf la chinoise) jusqu’à la Déclaration des droits de l’homme et le rôle de l’éminent penseur libanais Charles Malek dans l’élaboration du texte.

c) Le Liban est le pays le plus qualifié au monde pour être le centre de dialogue entre les religions et les civilisations. Un rôle reconnu par l’Organisation des Nations unies.

En somme, la neutralisation du Liban légale, internationale et permanente est la seule et meilleure solution pour la question libanaise, et c’est un atout pour l’humanité tout entière. Le pays du Cèdre ne sera plus menacé dans sa sécurité, son entité, sa souveraineté et son destin parce qu’il sera sous l’égide des Nations unies. C’est un passage historique : du momentané au définitif. C’est le meilleur et le plus cher cadeau que la France puisse offrir au Liban à l’occasion de son premier centenaire !

Nabil KHALIFÉ-L’Orient-Le Jour